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Jean-Christophe

Mais ils avaient des minutes de poésie ineffable. Elles éclataient subitement au milieu des journées un peu pâles, comme un rayon de soleil au travers du brouillard. C’était un regard, un geste, un mot qui ne signifiait rien, et les inondait de bonheur ; c’étaient les : « Au revoir ! », le soir, dans l’escalier mal éclairé, les yeux qui se cherchaient, se devinaient dans la demi-obscurité, le frisson des mains qui se touchaient, le tremblement de la voix, tous ces petits riens, dont leur souvenir se repaissait, la nuit, quand ils dormaient d’un sommeil si léger, que le son de chaque heure les réveillait, et quand leur cœur chantait : « Il m’aime », comme le murmure d’un ruisseau.

Ils découvrirent le charme des choses. Le printemps souriait avec une merveilleuse douceur. Le ciel avait un éclat, l’air avait une tendresse, qu’ils ne connaissaient pas. La ville tout entière, les toits rouges, les vieux murs, les pavés bosselés, se paraient d’un charme familier, qui attendrissait Christophe. La nuit, quand tout le monde dormait, Minna se levait du lit, et restait à la fenêtre, assoupie et fiévreuse. Et les après-midi, quand il n’était pas là, elle rêvait, assise dans la balançoire, un livre sur les genoux, les yeux à demi fermés, somnolente de lassitude heureuse, et le corps et l’esprit flottant dans l’air printanier. Elle passait des heures main-

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