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Jean-Christophe

un autre vieillard illustre, qu’il ne faut point assigner de limites aux bienfaits de la Providence. On ne s’apercevait qu’il vieillissait qu’à ce qu’il avait plus facilement la larme à l’œil, et qu’il devenait plus irritable chaque jour. La moindre impatience le jetait dans des accès de colère folle. Sa figure rouge et son cou court devenaient alors cramoisis. Il bégayait furieusement, et il était forcé de s’arrêter, suffoquant. Le médecin de la famille, un vieil ami, l’avait averti de se surveiller, et de modérer à la fois sa colère et son appétit. Mais têtu comme un vieillard, il n’en faisait que plus d’imprudences, par bravade ; et il raillait la médecine et les médecins. Il affectait un grand mépris pour la mort, et ne ménageait pas les discours, pour affirmer qu’il ne la craignait point.

Un jour d’été qu’il faisait très chaud, après avoir bu copieusement et s’être disputé par dessus le marché, il rentra chez lui et se mit à travailler dans son jardin. Il aimait remuer la terre. Nu-tête, en plein soleil, tout irrité encore par sa discussion, il bêchait avec colère. Christophe était assis sous la tonnelle, un livre à la main ; mais il ne lisait guère : il rêvassait, en écoutant la crécelle endormante des grillons : et, machinalement, il suivait les mouvements de grand-père. Le vieux lui tournait le dos ; il était courbé et arrachait les mauvaises herbes.

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