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Jean-Christophe

feignit de s’y absorber d’un air important. Mais quelques minutes après, il se précipita pour ramasser le chapeau de Christophe, qui était tombé. Christophe, surpris par tant de politesse, regarda de nouveau le jeune garçon, qui de nouveau rougit ; il remercia sèchement ; car il n’aimait pas cet empressement obséquieux, et il détestait qu’on s’occupât de lui. Toutefois, il ne laissait pas d’en être flatté.

Bientôt il n’y pensa plus ; son attention fut prise par le paysage. Depuis longtemps, il n’avait pu s’échapper de la ville ; aussi jouissait-il avidement de l’air qui fouettait sa figure, du bruit des flots contre le bateau, de la grande plaine d’eau et du spectacle changeant des rives : berges grises et plates, buissons de saules baignant jusqu’à mi-corps, villes couronnées de tours gothiques et de cheminées d’usines aux fumées noires, vignes blondes et rochers légendaires. Et comme il s’extasiait tout haut, son voisin timidement, d’une voix étranglée, hasarda quelques détails historiques sur les ruines qu’on voyait, savamment restaurées et revêtues de lierre : il avait l’air de se faire un cours à lui-même. Christophe, intéressé, le questionna. L’autre se hâtait de répondre, heureux de montrer sa science ; et, à chaque phrase, il s’adressait directement à Christophe, en l’appelant : « Monsieur le Hof Violonist ».

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