Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/166

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Il souffrait des critiques. Elles ne s’adressaient pas seulement à sa musique, mais à son idée d’une forme d’art nouvelle, qu’on ne se donnait pas la peine de comprendre : il était bien plus facile de la travestir, pour la ridiculiser à son aise. Christophe n’avait pas encore la sagesse de se dire que la meilleure réponse qu’on puisse faire à des critiques de mauvaise foi, est de ne leur en faire aucune, et de continuer à créer. Il avait pris, depuis quelques mois, la mauvaise habitude de ne laisser passer aucune attaque injuste, sans y répondre. Il écrivit un article, où il n’épargnait point certains de ses adversaires. Les deux journaux bien pensants, auxquels il le porta, le lui rendirent, en s’excusant avec une politesse ironique de ne pouvoir le publier. Christophe s’entêta. Il se souvint du journal socialiste de la ville, qui lui avait fait quelques avances. Il connaissait un des rédacteurs ; ils causaient parfois ensemble. Christophe avait plaisir à trouver quelqu’un qui parlât librement du pouvoir, de l’armée, des préjugés oppressifs et archaïques. Mais la conversation ne pouvait aller bien loin ; car, avec le socialiste, elle tournait toujours autour de Karl Marx, qui était absolument indifférent à Christophe. D’ailleurs, Christophe retrouvait dans ces discours d’homme libre, — en outre d’un matérialisme qui ne lui plaisait pas beaucoup, — une rigueur pédante, et un despotisme de pensée, un culte secret de la force, un militarisme à rebours, qui ne sonnaient pas très différemment de ce qu’il entendait, chaque jour, en Allemagne.

Néanmoins, ce fut à lui et à son journal qu’il pensa,

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