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Jean-Christophe

classique et forain, mélange à doses égales de noblesse réelle et de noblesse fausse, d’idéalisme serein et de virtuosité dégoûtante. C’était Schubert, englouti sous sa sensibilité, comme sous des kilomètres d’eau transparente et fade. Les vieux des âges héroïques, les demi-dieux, les Prophètes, les Pères de l’Église, n’étaient pas épargnés. Même le grand Sébastien, l’homme deux ou trois fois séculaire, qui portait en lui le passé et l’avenir, — Bach, — n’était pas pur de tout mensonge, de toute niaiserie de la mode, de tout bavardage d’école. Cet homme qui avait vu Dieu, cet homme qui vivait en Dieu semblait parfois à Christophe d’une religion insipide et sucrée, style jésuite, rococo. Il y avait dans ses cantates des airs de langueur amoureuse et dévote — (des dialogues de l’Âme qui coquette avec Jésus) — qui écœuraient Christophe : il croyait voir des chérubins joufflus, avec des ronds de jambe et des draperies qui s’envolent. Puis, il avait le sentiment que le génial Cantor écrivait toujours dans sa chambre close : cela sentait le renfermé ; il n’y avait pas dans sa musique cet air fort du dehors qui souffle chez d’autres, moins grands musiciens, peut-être, mais plus grands hommes, — plus hommes — que lui, comme Beethoven, ou Hændel. Ce qui le blessait aussi chez tous, principalement chez les classiques, c’était leur manque de liberté : presque tout dans leurs œuvres était « construit ». Tantôt, une émotion était amplifiée par tous les lieux communs de la rhétorique musicale, tantôt c’était un simple rythme, un dessin ornemental, répété, retourné, combiné en tous sens, d’une façon mécanique. Ces constructions symétriques et rabâcheuses — sonates et symphonies classiques ou néo-classiques — exaspéraient Christophe, peu sensible, en ce moment, à la beauté de l’ordre, des plans vastes et bien conçus. Cela lui semblait l’œuvre de maçons plutôt que de musiciens.

Il ne faudrait pas croire qu’il en fût moins sévère pour les romantiques. Chose curieuse, et dont il était le premier sur-

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