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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/281

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LA FOIRE SUR LA PLACE

que Christophe se donna le luxe stupide de lui renvoyer. Ce jour-là, il n’avait pas vingt sous en poche ; et il lui avait fallu acheter un timbre de vingt-cinq centimes pour écrire à sa mère. C’était le jour de fête de la vieille Louisa ; et, pour rien au monde, Christophe n’eût voulu y manquer : la bonne femme comptait trop sur la lettre de son garçon, elle n’aurait pu s’en passer. Elle lui écrivait un peu plus souvent, depuis quelques semaines, malgré la peine que cela lui coûtait d’écrire. Elle souffrait de sa solitude. Mais elle n’aurait pu se décider à venir rejoindre Christophe à Paris : elle était trop timorée, trop attachée à sa petite ville, à son église, à sa maison, elle avait peur des voyages. Et d’ailleurs, quand elle eût voulu venir, Christophe n’avait pas d’argent pour elle ; il n’en avait pas tous les jours, pour lui-même.

Un envoi qui lui avait fait bien plaisir, une fois, c’avait été de Lorchen, la jeune paysanne pour laquelle il avait eu une rixe avec des soldats prussiens[1] : elle lui avait écrit qu’elle se mariait ; elle lui donnait des nouvelles de la maman, et elle lui expédiait un panier de pommes et une part de galette, pour manger en son honneur. C’était tombé joliment à propos. Ce soir-là chez Christophe, c’était jeûne, quatre-temps, et carême : du saucisson pendu au clou, près de la

  1. Voir Jean-Christophe, IV, La Révolte.