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ANTOINETTE

bout. Cette idée prit chez Antoinette une force singulière, elle finit par la remplir tout entière. La vie de solitude et de misère qu’elle allait mener, et qu’elle voyait distinctement se dérouler devant elle, n’était possible que grâce à l’exaltation passionnée, qui s’empara d’elle : sauver son frère, faire que son frère fût heureux, si elle ne pouvait plus l’être. Cette petite fille de dix-sept à dix-huit ans, frivole et tendre, fut transformée par sa résolution héroïque : il y avait en elle une ardeur de dévouement et un orgueil de la lutte, que personne n’eût soupçonnés, elle-même moins que tout autre. Dans cet âge de crise de la femme, ces premiers jours de printemps fiévreux, où tant de forces d’amour gonflent l’être et le baignent, comme un ruisseau caché qui bruit sous le sol, l’enveloppent, l’inondent, le tiennent dans un état d’obsession perpétuelle, l’amour prend toutes les formes ; il ne demande qu’à se