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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

souffrance, ayant souffert lui-même. Antoinette n’était plus la petite fille romanesque d’autrefois, l’enfant gâtée, qui rêvait de la vie, comme d’une promenade que l’on fait par une belle journée avec un amoureux ; elle la voyait maintenant comme un dur combat, qu’il fallait recommencer chaque jour, sans jamais se reposer, sous peine de perdre en un instant tout le terrain conquis, pouce par pouce, en des années de fatigue ; et elle pensait qu’il serait bien doux de pouvoir s’appuyer sur le bras d’un ami, de partager sa peine avec lui, et de pouvoir un peu fermer les yeux, tandis qu’il veillerait sur elle. Elle savait que c’était un rêve ; mais elle n’avait pas encore eu le courage de renoncer tout à fait à ce rêve. Au fond, elle n’ignorait pas qu’une fille sans dot n’avait rien à espérer dans le monde où elle vivait. La vieille bourgeoisie française est connue dans le monde entier pour l’esprit d’intérêt sordide, qu’elle apporte au