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ANTOINETTE

fierté le lui défendait. Elle se dit qu’il ignorait le tort qu’il lui avait causé, et, dans sa bonté, elle souhaita qu’il l’ignorât toujours.

Elle partit. Le hasard voulut qu’à une heure de la ville, le train qui l’emportait se croisât avec celui qui ramenait Christophe d’une ville voisine, où il avait passé la journée.

De leurs wagons qui stationnèrent quelques minutes l’un à côté de l’autre, ils se virent tous deux dans le silence de la nuit, et ils ne se parlèrent pas. Qu’auraient-ils pu se dire que des paroles banales ? Elles eussent profané le sentiment indéfinissable de commune pitié et de sympathie mystérieuse, qui était né en eux, et qui ne reposait sur rien que sur la certitude de leur vision intérieure. Dans cette dernière seconde où, inconnus l’un à l’autre, ils se regardaient, ils se virent tous deux comme aucun de ceux qui vivaient avec eux ne les avait jamais vus. Tout passe : le souvenir