Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

98
LA FIN DU VOYAGE

quelque sainte de ses amies, ou même avec le bon Dieu. Car il ne faut pas croire qu’il soit besoin d’être une Jeanne d’Arc, pour avoir de ces visites ; tous, nous en avons reçu. Seulement, à l’ordinaire, les visiteurs célestes nous laissent parler seuls, assis à notre foyer ; et ils ne disent mot. Rainette ne songeait pas à s’en formaliser : qui ne dit mot consent. D’ailleurs, elle avait tant à leur dire, pour sa part, qu’à peine leur laissait-elle le temps de répondre : elle répondait pour eux. Elle était une bavarde silencieuse ; elle tenait de sa mère la volubilité de langue ; mais ce flot s’infiltrait en paroles intérieures, comme un ruisseau qui disparaît sous terre. — Naturellement, elle faisait partie de la conspiration contre l’oncle, afin de le convertir ; elle se réjouissait de chaque pouce de la maison conquis sur l’esprit de ténèbres par les esprits dé lumière ; et, plus d’une fois, il lui arriva de coudre une médaille sainte à l’intérieur d’une doublure d’habit du vieux, ou de glisser dans une de ses poches un grain de chapelet, que l’oncle, pour faire plaisir à sa petite nièce, affectait de ne pas remarquer. — Cette mainmise des deux dévotes sur le mangeur de prêtres causait l’indignation et la joie du savetier. Il ne tarissait pas en grosses plaisanteries sur les