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LA FIN DU VOYAGE

remarquer qu’Emmanuel fut bossu. Emmanuel, qui avait peur des filles, peur et dégoût, faisait exception pour Rainette. Cette petite malade, à demi pétrifiée, était pour lui quelque chose d’intangible et de lointain, de pas très existant. Seulement le soir où la belle Berthe lui baisa la bouche, et encore le jour suivant, il s’écarta de Rainette, avec une répulsion instinctive ; il longea la maison, sans s’arrêter, baissant la tête ; et il rôdait à distance, craintif et méfiant, comme un chien sauvage. Puis, il revint. Elle était si peu une femme ! À sa sortie de l’atelier, quand il passait, tâchant de se faire aussi petit que possible, au milieu des brocheuses dans leurs longues blouses de travail, telles que des chemises de nuit, — ces grandes filles remuantes et rieuses, dont les yeux affamés vous déshabillaient en passant, — comme il détalait vers la fenêtre de Rainette ! Il savait gré à son amie de ce qu’elle était une infirme : il pouvait, vis-à-vis d’elle, se donner des airs de supériorité, et même un peu de protection. Il profitait de son importance ; il racontait les événements de la rue ; il s’y mettait en bonne place. Parfois, quand il était en veine de galanterie, il apportait à Rainette, en hiver, des marrons grillés, en été, un bouquet de cerises. Elle, de son côté,