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LA FIN DU VOYAGE

les mots les plus méchants. Alors, il s’en allait ; et quand il revenait, il racontait qu’il avait été avec d’autres filles, et qu’elles étaient jolies, et qu’ils avaient bien ri ensemble, et qu’ils devaient se retrouver, le dimanche prochain. Elle, ne disait rien ; elle faisait semblant de mépriser ce qu’il disait ; et brusquement, elle se mettait en rage, elle lui lançait son crochet à la tête, en lui criant de partir, et qu’elle le détestait ; et elle se cachait la figure dans ses mains. Il partait, pas fier de sa victoire. Il avait grande envie d’écarter les petites mains maigres, de dire que ce n’était pas vrai. Mais il se forçait, par orgueil, à ne pas revenir.

Un jour, Rainette fut vengée. — Il était avec ses camarades d’atelier. Ils ne l’aimaient guère, parce qu’il se tenait le plus possible en dehors d’eux et qu’il ne parlait pas, ou qu’il parlait trop bien, d’une façon naïvement prétentieuse, comme un livre, ou plutôt comme un article de journal — (il en était farci). — Ce jour-là, ils s’étaient mis à causer de la révolution et des temps futurs. Il s’exaltait, et il était ridicule. Un camarade l’apostropha brutalement :

— D’abord, toi, n’en faut plus, tu es trop laid. Dans la société future, n’y aura plus de boscos. On les fout à l’eau, en naissant.