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LE BUISSON ARDENT

Christophe tomba tout à fait. Rencogné dans un angle de son compartiment, il méditait, dégrisé et glacé. En regardant ses mains, il y vit du sang qui n’était pas le sien. Il eut un frisson de dégoût. La scène du meurtre reparut. Il se rappela qu’il avait tué ; et il ne savait plus pourquoi. Il recommença à se raconter la scène de la bataille ; mais il la voyait, cette fois, avec de tout autres yeux. Il ne comprenait plus comment il y avait été mêlé. Il reprit le récit de la journée, depuis l’instant où il était sorti de la maison avec Olivier ; il refit avec lui le chemin à travers Paris, jusqu’au moment où il avait été aspiré dans le tourbillon. À ce moment, il cessait de comprendre ; la chaîne de ses pensées se rompait : comment avait-il pu crier, frapper, vouloir avec ces hommes dont il désapprouvait la foi ? Ce n’était pas lui, ce n’était pas lui !… Éclipse totale de sa volonté !… Il en était stupéfait et honteux. Il n’était donc pas son maître ? Et qui était son maître ?… Il était emporté par l’express dans la nuit ; et la nuit intérieure où il était emporté n’était pas moins sombre, ni la force inconnue moins vertigineuse… Il s’efforça de secouer son trouble ; mais ce fut pour changer de souci. À mesure qu’il approchait du but, il pensait davantage à Olivier ; et il