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LE BUISSON ARDENT

Christophe tâcha de se reprendre à la vie… Quelle fatigue ! Il se sentait si vieux, vieux comme le monde !… Le matin, quand il se levait, quand il se voyait dans la glace, il était las de son corps, de ses gestes, de sa forme stupide. Se lever, s’habiller, pourquoi ?… Il fit d’immenses efforts pour travailler : c’était à vomir. À quoi bon créer, puisque tout est destiné au néant ? La musique lui était devenue impossible. On ne juge bien de l’art — (et du reste) — que par le malheur. Le malheur est la pierre de touche. Alors seulement, on connaît ceux qui traversent les siècles, ceux qui sont plus forts que la mort. Bien peu résistent. On est frappé de la médiocrité de certaines âmes sur lesquelles on comptait — (aussi bien des artistes qu’on aimait, que des amis dans la vie). — Qui surnage ? Comme la beauté du monde sonne creux sous le doigt de la douleur !

Mais la douleur se lasse, et sa main s’engourdit. Les nerfs de Christophe se détendaient. Il dormait, dormait sans cesse. On eût dit qu’il ne parviendrait jamais à assouvir cette faim de dormir.

Et une nuit enfin, il eut un sommeil si profond qu’il ne s’éveilla que dans l’après-midi suivante. La maison était déserte. Braun et sa femme étaient sortis. La fenêtre était