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LE BUISSON ARDENT

si exaspéré qu’il eut peine à ne pas lui dire une grossièreté ; il ne put s’en défendre qu’en sortant avant la fin du morceau. Elle ne s’en troubla point, continua imperturbablement jusqu’à la dernière note, et ne se montra ni mortifiée, ni blessée de cette impolitesse ; à peine sembla-t-elle s’en être aperçue. Mais entre eux, il ne fut plus question de musique. Les après-midi où Christophe sortait, il arrivait que, rentrant à l’improviste, il trouvât Anna qui étudiait au piano, avec une ténacité glaciale et insipide, répétant sans se lasser la même mesure cinquante fois, et ne s’animant jamais. Jamais elle ne faisait de musique, quand elle savait Christophe à la maison. Elle employait aux soins du ménage tout le temps qu’elle ne consacrait pas à ses occupations religieuses. Elle cousait, recousait, reprisait, surveillait la domestique ; elle avait le souci maniaque de l’ordre et de la propreté. Son mari la tenait pour une brave femme, un peu baroque, — « comme toutes les femmes », disait-il, — mais, « comme toutes les femmes », dévouée. Sur ce dernier point Christophe faisait in petto des réserves : cette psychologie lui semblait trop simpliste ; mais il se disait qu’après tout, c’était l’affaire de Braun ; et il n’y pensait plus.

On se réunissait le soir, après dîner