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LE BUISSON ARDENT

On croit que la pensée peut communiquer avec les autres pensées. En réalité, il n’y a de rapports qu’entre les mots. On dit et on écoute des mots ; pas un mot n’a le même sens dans deux bouches différentes. Et ce n’est rien encore : pas un mot, pas un seul, n’a tout son sens dans la vie. Les mots débordent la réalité vécue. On parle d’amour et de haine. Il n’y a pas d’amour, pas de haine, pas d’amis, pas d’ennemis, pas de foi, pas de passion, pas de bien, pas de mal. Il n’y a que de froids reflets de ces lumières qui tombent de soleils éteints, d’astres morts depuis des siècles… Des amis ? Il ne manque pas de gens qui revendiquent ce nom. Mais quelle fade réalité représente leur amitié ? Qu’est-ce que l’amitié, au sens du monde ordinaire ? Combien de minutes de sa vie celui qui se croit un ami donne-t-il au pâle souvenir de son ami ? Que lui sacrifierait-il, non pas même de son nécessaire, mais de son superflu, de son oisiveté, de son ennui ? Qu’est-ce que Christophe avait sacrifié à Olivier ? — (Car il ne s’exceptait point, il exceptait Olivier seul du néant où il englobait tous les êtres humains). — L’art n’est pas plus vrai que l’amour. Quelle place tient-il réellement dans la vie ? De quel amour l’aiment-ils, ceux qui s’en disent épris ?… La pauvreté des