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LE BUISSON ARDENT

saisir, — étaient fixés sur lui : des yeux bleu-sombre, avec de larges prunelles, au regard brûlant et dur ; ils étaient attachés à lui, ils fouillaient en lui, avec une ardeur muette et obstinée. Ses yeux ? Se pouvait-il que ce fussent ses yeux ? Il les voyait, et il n’y croyait pas. Les voyait-il vraiment ? Il se retourna brusquement… Les yeux étaient baissés. Il essaya de lui parler, de la forcer à le regarder en face. L’impassible figure répondit, sans lever de son ouvrage son regard abrité sous l’ombre impénétrable des paupières bleuâtres, aux cils courts et serrés. Si Christophe n’avait été sûr de lui-même, il aurait cru qu’il avait été le jouet d’une illusion. Mais il savait ce qu’il avait vu, et il ne parvenait pas à l’expliquer.

Cependant, comme son esprit était absorbé par le travail et qu’Anna l’intéressait peu, cette étrange impression ne l’occupa point longtemps.

Une semaine plus tard, Christophe essayait au piano un lied qu’il venait de composer. Braun, qui avait la manie, par amour-propre de mari autant que par taquinerie, de tourmenter sa femme pour qu’elle chantât ou jouât, avait été particulièrement insistant, ce soir-là. D’ordinaire, Anna se contentait de dire un non très sec ; après quoi, elle ne se