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LE BUISSON ARDENT

qu’elles étaient seules intéressées dans l’affaire, et que du moment qu’elles étaient d’accord pour se débarrasser de ce qui était à elles, nul n’avait à s’en mêler. La victime n’était pas loin d’approuver ce raisonnement ; mais la justice ne le comprit pas. Et Braun ne le comprenait pas, non plus.

— Ce sont des folles, disait-il. Il faut les enfermer dans un hospice d’aliénés. Ah ! les mâtines !… Je comprends qu’on se tue par amour. Je comprends même qu’on tue l’être qu’on aime et qui vous trompe… C’est-à-dire, je ne l’excuse pas ; mais je l’admets, comme un reste d’atavisme féroce ; c’est barbare, mais logique : on tue qui vous fait souffrir. Mais tuer ce qu’on aime, sans rancune, sans haine, simplement parce que d’autres l’aiment, c’est de la démence… Tu comprends cela, Christophe ?

— Peuh ! fit Christophe, je suis habitué à ne pas comprendre. Qui dit amour dit déraison.

Anna, qui se taisait sans paraître écouter, leva la tête et dit, de sa voix calme :

— Il n’y a là rien de déraisonnable. C’est tout naturel. Quand on aime, on veut détruire ce qu’on aime, afin que personne autre ne puisse l’avoir.

Braun regarda sa femme, stupéfait ; il