Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

214
LA FIN DU VOYAGE

par la crise qu’il venait de traverser, il ne résistait pas, et il perdait conscience de ce qui se passait en lui, sans pénétrer ce qui se passait dans Anna. Une après-midi, au milieu d’un morceau, en plein débordement d’ardeurs frénétiques, elle s’interrompit et, sans explication, elle sortit de la pièce. Christophe l’attendit : elle ne reparut plus. Une demi-heure après, comme il passait dans le corridor, près de la chambre d’Anna, par la porte entr’ouverte il l’aperçut au fond, absorbée dans des prières mornes, la figure glacée.


Cependant, un peu, très peu de confiance s’insinuait entre eux. Il tâchait de la faire parler de son passé ; elle ne disait que des choses banales ; à grand’peine, il lui arrachait morceau par morceau quelques détails précis. Grâce à la bonhomie, facilement indiscrète, de Braun, il réussit à entrevoir le secret de sa vie.

Elle était née dans la ville. De son nom de famille, elle s’appelait Anna-Maria Senfl. Son père, Martin Senfl, appartenait à une vieille maison de marchands, séculaire et millionnaire, où l’orgueil de caste et le rigorisme religieux étaient montés en graine. D’esprit aventureux, il avait, comme beaucoup de ses