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LA FIN DU VOYAGE

Ils prenaient goût au jeu ; l’air les grisait. Elle se lança sur une pente rapide ; les pierres roulaient sous ses pieds ; elle ne trébuchait point, elle glissait, sautait, filait comme une flèche. De temps en temps, elle jetait un coup d’œil en arrière, pour mesurer l’avance qu’elle avait sur Christophe. Il se rapprochait d’elle. Elle se jeta dans un bois. Les feuilles mortes craquaient sous leurs pas ; les branches qu’elle avait écartées le fouettaient au visage. Elle butta contre les racines d’un arbre. Il la saisit. Elle se débattit, luttant des pieds et des mains, lui donnant de forts coups, cherchant à le faire tomber ; elle criait et riait. Sa poitrine haletait, appuyée contre lui ; un instant, leurs joues se frôlèrent ; il but la sueur qui mouillait les tempes d’Anna ; il respira l’odeur de ses cheveux humides. D’une robuste poussée, elle se dégagea, et le regarda, sans trouble, de ses yeux qui le défiaient. Il était stupéfait de la force qui était en elle, et dont elle ne faisait rien dans la vie ordinaire.

Ils allèrent au prochain village, foulant allègrement le chaume sec, qui rebondissait sous leurs pas. Devant eux s’envolaient les corbeaux qui fouillaient les champs. Le soleil brûlait, et la bise mordait. Il tenait le bras d’Anna. Elle avait une robe peu épaisse ;