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LE BUISSON ARDENT

devant l’auberge et regardèrent les danseurs. Les couples se heurtaient et s’apostrophaient à grand bruit. Les filles poussaient des cris, pour le plaisir de crier. Les buveurs marquaient la mesure sur les tables, avec leurs poings. En un autre temps, cette joie lourde eût dégoûté Anna ; ce soir, elle en jouissait ; elle avait ôté son chapeau, et regardait, la figure animée. Christophe pouffait de la gravité burlesque de la musique et des musiciens. Il chercha dans ses poches, prit un crayon et, sur l’envers d’une note d’auberge, il se mit à tracer des barres et des points : il écrivait des danses. La feuille fut bientôt remplie ; il en demanda d’autres, qu’il couvrit, comme la première, de sa grosse écriture impatiente et maladroite. Anna, la joue près de la sienne, lisait par-dessus son épaule, chantonnant à mi-voix ; elle tâchait de deviner la fin des phrases, et elle battait des mains, quand elle avait deviné, ou quand ses prévisions étaient déroutées par une saillie inattendue. Après avoir fini, Christophe porta aux musiciens ce qu’il venait d’écrire. C’étaient de braves Souabes, qui savaient leur métier : ils déchiffrèrent sans broncher. Les airs étaient d’un humour sentimental et burlesque, avec des rythmes heurtés, comme ponctués d’éclats de rire. Impossible de résis-