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LA FIN DU VOYAGE

voler à cet homme son honneur et son bonheur, son humble bonheur domestique ! Il l’avait trahi bassement, et avec qui ? Avec une femme qu’il ne connaissait pas, qu’il ne comprenait pas, qu’il n’aimait pas… Qu’il n’aimait pas ? Tout son sang se révolta. L’amour était, un mot trop faible pour exprimer le torrent de feu qui le brûlait, dès qu’il pensait à elle. Ce n’était pas de l’amour, et c’était mille fois plus que l’amour… Il passa la nuit dans une tempête. Il se levait, il se trempait la figure dans l’eau glacée, il étouffait et il frissonnait. La crise se termina par un accès de fièvre.

Quand il se leva, brisé, il pensa combien elle devait être, plus encore que lui, accablée de honte. Il alla à sa fenêtre. Le soleil brillait sur la neige éblouissante. Dans le jardin, Anna étendait du linge sur une corde. Attentive à sa tâche, rien ne semblait la troubler. Elle avait une dignité de démarche et de gestes qui lui était toute nouvelle et qui lui faisait trouver, sans y penser, des mouvements de statue.


Au dîner de midi, ils se revirent. Braun était absent, pour toute la journée. Jamais Christophe n’eût supporté de se rencontrer avec lui. Il voulait parler à Anna. Mais ils