Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

255
LE BUISSON ARDENT

— Le jour.

Elle ne fit pas un mouvement.

Il dit :

— Soit. Qu’importe ?

Elle rouvrit les yeux, sortit du lit, avec une expression de lassitude mortelle. Assise sur le bord, elle regardait le plancher. D’une voix sans couleur, elle dit :

— J’ai pensé le tuer, cette nuit.

Il eut un sursaut d’effroi.

— Anna ! dit-il.

Elle fixait la fenêtre, d’un air sombre.

— Anna ! répéta-t-il. Au nom du ciel !… Pas lui !… Il est le meilleur…

Elle répéta :

— Pas lui. Oui.

Ils se regardèrent.

Il y avait longtemps qu’ils le savaient. Ils savaient quelle était la seule issue. Ils ne pouvaient supporter de vivre dans le mensonge. Et jamais ils n’avaient envisagé même la possibilité de s’enfuir ensemble. Ils n’ignoraient pas que cela ne résoudrait rien : car la pire souffrance n’était pas dans les obstacles extérieurs qui les séparaient, mais en eux, dans leurs âmes différentes. Il leur était aussi impossible de vivre ensemble que de ne pas vivre ensemble. Ils étaient acculés.

À partir de ce moment, ils ne se touchèrent