Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/277

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Si fermée que fût la maison de Braun, si secrète que restât la tragédie bourgeoise qui s’y jouait, quelque chose en avait déjà transpiré, au dehors.

Dans cette ville, nul ne peut se flatter de cacher sa vie. C’est là un fait étrange. Dans les rues, personne ne vous regarde ; les portes des maisons et les volets sont clos. Mais il y a des miroirs accrochés au coin des fenêtres ; et l’on entend, quand on passe, le bruit sec des persiennes qui s’entr’ouvrent et se referment. Personne ne se soucie de vous ; il semble qu’on vous ignore ; mais vous ne tardez pas à vous apercevoir qu’aucune de vos paroles, aucun de vos gestes n’a été perdu : on sait ce que vous avez fait, ce que vous avez dit, ce que vous avez vu, ce que vous avez mangé ; on sait même, on se flatte de savoir ce que vous avez pensé. Une surveillance occulte, universelle, vous enveloppe. Domestiques, fournisseurs, parents, amis, indifférents, passants inconnus, tous

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