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LA FIN DU VOYAGE

qui fermait l’enfer humain que monta vers lui la clameur de tous les opprimés, les pauvres exploités, les peuples persécutés, l’Arménie massacrée, la Finlande étouffée, la Pologne écartelée, la Russie martyrisée, l’Afrique livrée en curée aux rapaces européens, les misérables de tout le genre humain. Il en fut suffoqué ; il l’entendait partout, il ne pouvait plus ne plus l’entendre, il ne pouvait plus concevoir qu’il y eût des gens qui pensassent à autre chose. Il en parlait sans cesse à Christophe. Christophe, troublé, disait :

— Tais-toi ! laisse-moi travailler.

Et comme il avait peine à reprendre son équilibre, il s’irritait, jurait :

— Au diable ! Ma journée est perdue ! Te voilà bien avancé !

Olivier s’excusait.

— Mon petit, disait Christophe, il ne faut pas toujours regarder dans le gouffre. On ne peut plus vivre.

— Il faut tendre la main à ceux qui sont dans le gouffre.

— Sans doute. Mais comment ? En nous y jetant aussi ? Car c’est cela que tu veux. Tu as une propension à ne plus voir dans la vie que ce qu’elle a de triste. Que le bon Dieu te bénisse ! Ce pessimisme est charitable, assuré-