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LE BUISSON ARDENT

manteau, et sortit. Dans le corridor, près de la porte d’Anna, il précipita le pas, pris de peur. En bas, il jeta un dernier coup d’œil sur le jardin désert. Il se sauva comme un voleur. Un brouillard glacé traversait la peau avec des aiguilles. Christophe rasait le mur des maisons, craignant de rencontrer une figure connue. Il alla à la gare. Il monta dans un train qui partait pour Lucerne. À la première station, il écrivit à Braun. Il disait qu’une affaire urgente l’appelait, pour quelques jours, hors de la ville, et qu’il se désolait de le laisser en un pareil moment ; il le priait de lui envoyer des nouvelles, à une adresse qu’il lui indiqua. À Lucerne, il prit le train du Gothard. Dans la nuit, il descendit à une petite station entre Altorf et Gœschenen. Il n’en sut pas le nom, il ne le sut jamais. Il entra dans la première hôtellerie, près de la gare. Des mares d’eau coupaient le chemin. Il pleuvait à torrents ; il plut toute la nuit ; il plut tout le lendemain. Avec un bruit de cataracte, l’eau tombait d’une gouttière crevée. Le ciel et la terre étaient noyés, semblaient dissous, comme sa pensée. Il se coucha dans des draps humides, qui sentaient la fumée du chemin de fer. Il ne put rester couché. L’idée des dangers que courait Anna l’occupait trop pour qu’il eût le temps encore de sentir sa