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LE BUISSON ARDENT

envie que de rire et de pleurer, et de se fondre dans cette merveille vivante. Écrire, pourquoi écrire ? Est-ce qu’on peut écrire l’indicible ?… Mais que cela fût possible ou non, il fallait qu’il écrivît. C’était sa loi. Les idées le frappaient, par éclairs, en quelque lieu qu’il fût, le plus souvent en promenades. Impossible d’attendre. Alors, il écrivait, avec n’importe quoi, sur n’importe quoi ; et il eût été incapable souvent de dire ce que signifiaient ces phrases qui jaillissaient de lui, dans un élan irrésistible ; et voici que pendant qu’il écrivait, d’autres idées lui venaient, et d’autres ; et il écrivait, il écrivait, sur ses manches de chemise, sur la coiffe de son chapeau ; si vite qu’il écrivît, sa pensée allait plus vite, il devait user d’une sorte de sténographie.

Ce n’étaient là que des notes informes. La difficulté commençait lorsqu’il voulait couler ces idées dans les formes musicales ordinaires ; il faisait la découverte qu’aucun des moules anciens ne pouvait leur convenir ; s’il voulait fixer ses visions avec fidélité, il devait commencer par oublier toute musique entendue, tout ce qu’il avait écrit, faire table rase de tout formalisme appris, de la technique traditionnelle, rejeter ces béquilles de l’esprit impotent, ce lit tout fait pour la