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LA FIN DU VOYAGE

se retire. La passe était étroite, et le flot capricieux : il fallait être habile. Mais deux ou trois générations de démagogie ont formé une race de corsaires, pour qui le métier n’a plus de secrets. Ils passaient hardiment, et n’avaient même pas un regard pour ceux qui sombraient en route.

Cette canaille-là est de tous les partis ; grâce à Dieu, aucun parti n’en est responsable. Mais le dégoût que ces aventuriers inspiraient aux sincères et aux convaincus avait conduit certains d’entre eux à désespérer de leur classe. Olivier voyait de jeunes bourgeois riches et instruits, qui avaient le sentiment de la déchéance de la bourgeoisie et de leur propre inutilité. Il n’avait que trop de penchant à sympathiser avec eux. Après avoir cru d’abord à la rénovation du peuple par l’élite, après avoir fondé des Universités Populaires et y avoir dépensé sans compter beaucoup de temps et d’argent, ils avaient constaté l’échec de leurs efforts ; leurs espoirs avaient été excessifs, leur découragement l’était aussi. Le peuple n’était pas venu à leur appel, ou il s’était sauvé. Quand il venait, il entendait tout de travers, il ne prenait de la culture bourgeoise que les vices et les ridicules. Enfin, plus d’une brebis galeuse s’étaient glissées dans les rangs des apôtres