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LA FIN DU VOYAGE

frémissent. Si vous voulez connaître l’hôte, entrez dans la maison.

C’était ce que faisait Christophe.


Il avait été mis en rapports avec ces ouvriers par un voisin, employé aux chemins de fer de l’État. Un homme de quarante-cinq ans, petit, vieilli avant l’âge, le crâne tristement déplumé, les yeux enfoncés dans l’orbite, les joues creuses, le nez proéminent, gros et recourbé, la bouche intelligente, les oreilles déformées aux lobes cassés : des traits de dégénéré. Il se nommait Alcide Gautier. Il n’était pas du peuple, mais de la moyenne bourgeoisie. D’une bonne famille qui avait dépensé à l’éducation du fils unique tout son petit avoir et qui même n’avait pu, faute de ressources, lui permettre de la poursuivre jusqu’au bout. Il avait obtenu, très jeune, dans une administration de l’État, un de ces postes qui semblent à la bourgeoisie pauvre le port, et qui sont la mort, — la mort vivante. Une fois entré là, il n’avait plus eu la possibilité d’en sortir. Il avait commis la faute — (c’en est une dans la société moderne) — de faire un mariage d’amour avec une jolie ouvrière, dont la vulgarité foncière n’avait pas tardé à s’épanouir. Elle lui avait donné trois enfants. Il fallait faire vivre ce monde. Cet homme,