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LE BUISSON ARDENT

il n’en restait plus rien qu’une lassitude plus grande et la gueule de bois. Sans cesse, ils s’enflammaient pour un chef ; et peu de temps après, le soupçonnaient et le rejetaient. Le plus triste était qu’ils n’avaient point tort : les chefs étaient attirés, l’un après l’autre, par l’appât de la richesse, du succès, de la vanité ; pour un Joussier, que préservait de la tentation la phtisie qui le minait, la mort à brève échéance, combien d’autres trahissaient, ou se lassaient ! Ils étaient victimes de la plaie qui rongeait les hommes politiques de ce temps, et dans tous les partis : la démoralisation par la femme ou par l’argent, par la femme et par l’argent — (les deux fléaux n’en font qu’un). — On voyait, dans le gouvernement comme dans l’opposition, des talents de premier ordre, des hommes qui avaient en eux l’étoffe de grands hommes d’État — (au temps de Richelieu, ils l’eussent été peut-être) ; — mais ils étaient sans foi, sans caractère ; le besoin, l’habitude, la lassitude de la jouissance les avait énervés ; elle leur faisait commettre, au milieu de vastes projets, des actes incohérents, ou brusquement tout jeter là, les affaires en cours, leur patrie ou leur cause, pour se reposer et jouir. Ils étaient assez braves pour se faire tuer dans une bataille ; mais bien peu de ces chefs eussent