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LE BUISSON ARDENT

Olivier regardait, observait, et il ne s’étonnait point. Tout de suite, il avait reconnu combien ces hommes étaient inférieurs à l’œuvre qu’ils prétendaient réaliser ; mais il avait aussi reconnu la force fatale qui les entraînait ; et il s’apercevait que Christophe, à son insu, suivait le fil de l’eau. Pour lui, qui n’eût demandé qu’à se laisser emporter, le courant ne voulait pas de lui. Il restait au rivage et regardait l’eau passer.

C’était un fort courant : il soulevait une masse énorme de passions, d’intérêts et de foi, qui se poussaient, se heurtaient, se fondaient, avec des bouillonnements d’écume et des remous contradictoires. Les chefs étaient en tête, les moins libres de tous, car ils étaient poussés, et peut-être de tous, ceux qui croyaient le moins : ils avaient cru jadis, ils étaient comme ces prêtres qu’ils avaient tant raillés, enfermés dans leurs vœux, dans la foi qu’ils avaient eue et qu’ils étaient forcés de professer jusqu’à la fin. Derrière eux, le gros du troupeau était brutal, incertain, et de vue courte. Le plus grand nombre croyaient par hasard, parce que le courant allait maintenant à ces utopies ; ils n’y croiraient plus, ce soir, parce que le courant aurait changé. Beaucoup croyaient par besoin d’action, par désir d’aventures, par bêtise