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LA FIN DU VOYAGE

gravement ; de temps en temps, elle faisait un plongeon, le bec en avant comme pour saluer, et elle battait gauchement des ailes, afin de retrouver son équilibre ; puis, elle virait soudain, plantant là son interlocuteur au milieu d’une phrase, et d’une aile et d’un aileron s’envolait sur le dossier d’un banc, d’où elle narguait les chiens du quartier. Alors le gniaf se remettait à battre ses empeignes ; et la fuite de son auditrice ne l’empêchait pas de continuer jusqu’au bout le discours interrompu.

Il avait cinquante-six ans, l’air jovial et bourru, de petits yeux rieurs sous d’énormes sourcils, un crâne chauve au sommet qui s’élevait comme un œuf au-dessus d’un nid de cheveux, des oreilles poilues, une gueule noire et brèche-dents qui s’ouvrait comme un puits, dans des accès de rire, une barbe hirsute et malpropre, où il fourrageait à pleines mains, de ses pinces volumineuses et noires de cirage. Il était connu dans le quartier, sous le nom de père Feuillet, dit Feuillette, dit papa La Feuillette — on disait La Fayette, pour le faire enrager : car le vieux, en politique, arborait des opinions écarlates ; tout jeune, il avait été mêlé à la Commune, condamné à mort, finalement déporté ; il était fier de ses souvenirs et associait dans