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LA FIN DU VOYAGE

lent et jaloux, à un degré maladif. Elle aimait son enfant avec emportement, le malmenait brutalement, puis, quand il était malade, elle était folle de désespoir. Dans ses jours de mauvaise humeur, elle le couchait sans dîner, sans un morceau de pain. Quand elle le traînait par la main dans les rues, s’il était fatigué, s’il ne voulait plus avancer et se laissait choir par terre, elle le relevait d’un coup de pied. Elle avait un langage incohérent, et passait des larmes à une excitation de gaieté hystérique. Elle était morte. Le grand-père avait recueilli le petit, alors âgé de six ans. Il l’aimait bien ; mais il avait sa manière de le lui témoigner : elle consistait à rudoyer l’enfant, à le nommer d’injures variées, à lui allonger les oreilles, à le claquer, du matin au soir, afin de lui apprendre son métier ; et il lui inculquait en même temps son catéchisme social et anticlérical.

Emmanuel savait que le grand-père n’était pas méchant ; mais il était toujours prêt à lever le coude pour parer les gifles ; le vieux lui faisait peur, surtout les soirs de ribote. Car le père la Feuillette n’avait pas volé son surnom : il se pochardait deux ou trois fois par mois ; alors, il parlait à tort et à travers, il riait, il faisait le faraud, et cela finissait par quelques bourrades au petit. Plus de bruit