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ANNETTE ET SYLVIE 121

ainsi qu’une étrangère ; et elle ne comprenait plus déjà le sens de ces fureurs. Elle pensait :

— Pourquoi ?… A quoi bon ?… Est-ce que cela vaut la peine ?…

Le torrent, dans la nuit, disait :

— Folie, folie, folie… tout est vain… tout n’est rien…

Annette, amèrement, souriait avec pitié :

— Qu’est-ce que j’ai voulu ?… Je ne le sais même plus… Où est-il, ce grand bonheur ?… Le prenne qui voudra !… Je ne le disputerai pas…

Et puis, lui revinrent, soudain, par effluves, des images de ce bonheur que pourtant elle avait voulu, et les chaudes bouffées de ces désirs dont son corps — quoique sa raison les niât — était, serait longtemps encore possédé. Dans le sillage tracé par leur âpre éperon, ils traînaient après eux un relent de fureurs jalouses… Elle subit leur assaut, en silence, courbée comme sous l’aile d’un coup de vent qui passe. Puis, relevant la tête, elle dit tout haut :

— J’ai tort… Sylvie est la plus aimée… C’est juste. Elle est mieux faite pour l’amour. Et elle est bien plus jolie. Je le sais, et je l’aime. Je l’aime parce qu’elle est ainsi. Je devrais donc être heureuse de son bonheur. Je suis une égoïste… Mais pourquoi, seulement, pourquoi