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ANNETTE ET SYLVIE 157

au dedans, et les mains sagement croisées au-dessus du ventre — lac dormant…

Annette portait ce rêve perpétuel, partout où elle allait : dans le mouvement des rues, dans la torpeur studieuse des cours et des bibliothèques, dans l’aimable banalité des entretiens de salon, que relève un grain de flirt et d’ironie. Plus d’un remarquait dans les soirées le regard absent de cette jeune fille qui, distraitement, souriait, moins à ce qu’on lui disait qu’à ce qu’elle se racontait, attrapait au hasard quelques mots qui passaient, et repartait bien loin, écoutant on ne savait quels oiseaux cachés au fond de sa volière.

Si bruyant était le concert du petit peuple intérieur qu’Annette se surprit à l’écouter, un jour que Sylvie, l’aimée, était là devant elle, lui riait, l’étourdissait de son cher bavardage, lui disait… Qu’est-ce qu’elle lui disait ?…

Sylvie s’en aperçut ; elle la secoua en riant :

— Tu dors, tu dors, Annette !

Annette protestait.

— Si, si, je l’ai vu, tu rêves debout, comme un vieux cheval de fiacre. Qu’est-ce que tu fais de tes nuits ?

— Polisson !… Et des tiennes, si je te demandais ?…

— Des miennes ? Tu veux savoir ? Très bien ! Je vais te raconter. On ne s’ennuiera pas.