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sourire qui avait tout compris !… Bien qu’il fût seul à parler, il avait l’illusion qu’il parlait avec elle. En tout cas, il ne parlait plus que pour elle ; et il se sentait soulevé au-dessus de lui-même par ce dialogue intérieur, par l’échange mystérieux de ces muettes reparties…

Pour dire la vérité, Annette n’écoutait guère. Assez intelligente pour saisir promptement le sens général de la pensée de Roger, elle suivait distraitement, selon son habitude, les belles phrases balancées. Mais elle profitait de ce qu’il était occupé de son éloquence, pour bien le regarder : les yeux, la bouche, les mains, et ce mouvement du menton qu’il faisait en parlant, et ces belles narines de poulain hennissant, et sa façon de rouler certaines lettres, gentiment, et tout ce que cela exprime, et le dehors et le dedans… Elle savait regarder. Elle voyait le désir qu’il avait d’être admiré, elle voyait le plaisir qu’il avait à plaire, à ce qu’elle le jugeât beau, intelligent, éloquent, étonnant. Et elle ne pensait pas du tout — (si ! un peu, un petit peu…) à le trouver comique. Elle en était au contraire attendrie…

( — « Oui, chéri, tu es beau, tu es charmant, intelligent, éloquent, étonnant… Tu veux un petit sourire ?… Tiens, chéri, je t’en fais deux… avec mes plus doux yeux… Es-tu content ?… ») Et elle riait, dans son cœur, de le voir, tout