Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/231

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jointures, fait défaillir le cœur. Une lassitude extrême d’obscure volupté. Une peur de bouger. Une peur de penser… L’âme, tapie dans son rêve, craint de s’en éveiller. — Annette savait bien qu’au premier geste qu’elle ferait, le rêve allait se briser…


Mais même en ne bougeant pas, le temps bouge pour nous, et la fuite des jours suffit à entraîner l’illusion qu’on voudrait conserver. On a beau se surveiller : on ne peut vivre ensemble, du matin jusqu’au soir, sans, au bout de quelque temps, se montrer comme on est.

La famille Brissot parut, au naturel. Le sourire était de façade. Annette était entrée dans la maison. Elle vit des bourgeois affairés et moroses, qui géraient leurs biens avec un plaisir âpre. Il n’était pas question ici de socialisme. Des immortels Principes, on invoquait seulement la Déclaration des Droits du propriétaire. Il ne faisait pas bon y porter atteinte. Leur garde était occupé sans relâche à dresser des contraventions. Eux-mêmes, ils exerçaient une surveillance stricte, qui leur était une sorte de délectation chagrine. Ils paraissaient en guerre d’embuscades avec leurs domestiques, avec leurs fermiers, avec leurs vignerons, avec tous leurs voisins. L’esprit de chi-