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248 L'AME ENCHANTÉE

d’amoureux, autant emporte le vent ! Pourquoi donc lésiner ?… » Mais Roger, qui avait ses défauts, avait aussi ses vertus : il était, comme on dit, « un bon jeune homme », trop rempli de son moi pour bien connaître les femmes, qu’il avait assez peu pratiquées. Il n’eut pas l’habileté de cacher son dépit. Et, quand Annette attendait une parole généreuse, elle eut le désappointement de voir qu’on l’écoutant, il n’avait songé qu’à lui.

— Annette, dit-il, je vous avoue que j’ai peine à comprendre ce que vous me demandez. Vous me parlez de notre mariage, comme d’une prison, et vous ne semblez avoir d’autre pensée que de vous en évader. Ma maison n’a pas de barreaux aux fenêtres, et elle est assez large pour qu’on s’y trouve à l’aise. Mais on ne peut pas vivre, toutes les portes ouvertes ; et ma maison est faite pour qu’on y reste. Vous me parlez d’en sortir, d’avoir votre vie à part, vos relations personnelles, vos amis, et même, si j’ai bien compris, de pouvoir vous en aller, à votre gré, du foyer, pour chercher Dieu sait quoi que vous n’y auriez pas trouvé, jusqu’à ce qu’il vous plaise, un jour, d’y rentrer… Annette, ce n’est pas sérieux ! Vous n’y avez pas pensé ! Aucun homme ne pourrait consentir à sa femme une situation, pour lui si humiliante, pour elle si équivoque.