Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/31

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nir ? Mais elle ne parvenait ainsi qu’à dissoudre son deuil dans un trouble mystère de douleur et de passion et d’obscure volupté. Elle en était, à la fois, consumée, révoltée…


Ce soir de fin d’avril, la révolte l’emporta. Son esprit de raison s’indigna des confuses rêveries, qu’il laissait sans contrôle depuis de trop longs mois, et dont il voyait le danger. Il voulut les refouler ; mais ce ne fut pas sans peine : on ne l’écoutait plus ; il avait perdu l’habitude du commandement… Annette, s’arrachant au regard du feu dans le foyer et à l’insidieuse emprise de la nuit qui était tout à fait venue, se leva et, frileuse, s’enveloppant dans une robe de chambre du père, elle fit la lumière dans la pièce.

C’était l’ancien cabinet de travail de Raoul Rivière. Par les baies ouvertes, on voyait, au travers du jeune feuillage des arbres, clairsemé, la Seine dans la nuit, et sur sa masse sombre qui semblait immobile, les reflets des maisons, dont les fenêtres s’allumaient sur l’autre rive, et du jour qui mourait au-dessus des collines de Saint-Cloud. Raoul Rivière, qui était homme de goût, bien qu’il se gardât d’en user pour satisfaire à l’insipide routine ou aux caprices cocasses de ses riches clients, avait fait choix pour lui, aux portes de Paris, sur le quai de