Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/35

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soir, sa présence lointaine à l’étage au-dessus, le va-et-vient paisible de ses vieux pas feutrés, ne dérangeaient pas plus les songeries d’Annette qu’un animal familier.

Elle commença de lire, curieuse, un peu troublée. Mais son instinct de l’ordre et son besoin du calme, qui voulaient que, dans elle et autour, tout fût clair et rangé, s’imposaient en prenant et dépliant les lettres, une lenteur de mouvements, une froideur détachée, qui, quelque temps, du moins, purent lui faire illusion.

Les premières lettres qu’elle lut étaient de sa mère. Le ton chagrin lui rappela d’abord ses impressions de naguère, pas toujours bienveillantes, un peu agacées parfois, avec quelque pitié à l’égard de ce qu’elle jugeait, dans sa haute raison, une habitude d’esprit véritablement maladive : « Pauvre maman !… » Mais, petit à petit, poursuivant sa lecture, elle s’apercevait, pour la première fois, que cet état moral n’était pas sans motifs. Certaines allusions aux infidélités de Raoul l’inquiétèrent. Trop partiale pour juger au détriment de son père, elle passa, affectant de ne pas très bien comprendre. Sa piété lui fournissait d’excellentes raisons pour détourner les yeux. Elle découvrait toutefois le sérieux de l’âme, la tendresse blessée de madame Rivière ; et elle se reprocha, en