Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/50

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d’elle ensemble ! Et elle, jusqu’au dernier jour, avait tout ignoré ; il semblait se confier, et il l’avait dupée ; il la tenait à l’écart ; elle ne savait même pas l’existence de sa sœur !… Une telle inégalité, si injuste, l’accabla. Elle se sentit vaincue. Mais elle ne voulut pas le montrer ; elle chercha une arme, la trouva ; et elle dit :

— Vous l’avez vu bien peu, dans ces dernières années.

— Dans ces dernières années, concéda, fort à regret, Sylvie. Sans doute. Il était malade. On le tenait enfermé.

Il y eut un silence hostile. Souriantes toutes deux, toutes deux rongeaient leur frein. Annette, rude et guindée ; Sylvie, l’air faux comme un jeton, caressante, maniérée. Avant de continuer la partie, elles comptaient les points, Annette, un peu soulagée d’avoir repris un (bien faible) avantage, secrètement honteuse de ses mauvaises pensées, s’efforça de remettre l’entretien sur un ton plus cordial. Elle parla du désir qu’elle avait eu de se rapprocher de celle en qui revivait, aussi, — « un peu » — son père. Mais elle avait beau faire : malgré elle, elle établissait une différence entre leurs parts ; elle laissait entendre que la sienne était privilégiée. Elle racontait à Sylvie les dernières années de Raoul ; et elle ne pouvait pas s’empêcher de montrer combien elle avait été plus intime