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ANNETTE ET SYLVIE 65

dans une crémerie de sa connaissance. Ce fut pour les deux jeunes filles, et surtout pour Annette, une partie de plaisir, ce petit déjeuner que Sylvie tenait à offrir à sa sœur plus fortunée : (celle-ci l’avait compris). Annette trouvait tout exquis. Elle s’extasiait sur le pain, sur la côtelette bien cuite. Et il y eut, à la fin, des fraises dans de la crème, dont elles se régalèrent, à petits coups de langue.

Mais les langues étaient encore plus occupées à causer qu’à manger. Elles ne parlaient pourtant que de choses insignifiantes, s’imbibant l’une de l’autre, de leurs regards et de leur voix et de leur rayonnement. L’instinct a ses chemins, et plus courts et meilleurs. Il n’était pas encore temps de toucher aux sujets essentiels. Elles tournaient autour, tournaient joyeusement, telles ces guêpes bourdonnantes, qui font dix fois le tour d’une assiette, avant de s’y poser. — Elles ne s’y posèrent pas…

Sylvie se leva, et dit :

— Maintenant, il faut aller travailler.

Annette fit la mine penaude d’un enfant à qui on enlève brusquement son dessert. Elle dit :

— On était si bien ! Je n’en ai pas assez.

— Moi non plus, dit Sylvie en riant. Quand est-ce qu’on en reprend ?

— Le plus tôt, et le plus long… C’était trop vite fini.