Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/189

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ils n’ont rien à se dire ; ce qu’ils auraient à se dire ferait couler cette façade de la vie, qu’ils tremblent d’ébranler : car comment vivraient-ils, si dans ce champ de ruines, comme une plaine bombardée, qu’est la vie d’à présent, ils n’avaient, pour se poser et accrocher leur nid, la façade du passé, l’image illusoire de ce qu’ils ont été !… Ils se disent adieu. Ils ont les lèvres sèches. Ils s’embrassent. Ils s’aiment. Ils se sont étrangers.

En cette même semaine, la dernière qu’Annette eut à passer à Paris, revint Lydia Murisier. Les deux femmes retrouvèrent, en se voyant, leur tendre émotion. Et leurs lèvres se joignirent, avant qu’elles se disent un mot. Mais, dès que la parole se fit jour, elle parla derrière un mur. Et elles surent toutes deux que la seule porte pour passer, si elles en avaient la clef, elles ne l’ouvriraient pas. C’était le plus douloureux : une barrière entre elles, elles veulent se toucher, et elles ne veulent rien faire pour enlever la barrière.

Lydia avait perdu cette fleur de franchise et de spontanéité, dont la grâce poétique parfumait chacun de ses mouvements. Elle l’avait sévèrement refoulée, recouverte sous ses voiles de deuil. Elle avait offert au mort sa nature sacrifiée. L’ivresse de mysticisme douloureux des premiers