Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/231

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domestiques. Sous l’opaque enveloppe, ces lourdes vies n’avaient pas été incapables d’actes de dévouement. Et chacun de ces sacs d’ossements, pour qui aucun Dieu ne semblait être mort, chacun portait sa croix. Annette le savait bien ! Mais elle portait la sienne ; et, comme eux, elle avait tendance à croire que la sienne seule était la vraie. Elle voyait d’un côté des bourreaux, de l’autre des victimes. Germain la forçait à voir que chacun à la fois est victime et bourreau. Ce Gaulois incroyant faisait surgir devant elle une extraordinaire montée au Golgotha : un peuple de porte-croix, qui jettent l’injure et la pierre à l’homme sur la croix !…

— Mais c’est affreux ! fit-elle. Ne peut-on les détromper ? Au lieu de se lapider entre eux, retourner leurs forces unies…

— Contre qui ?

— Contre le grand bourreau !

— Nommez !

— La Nature !

— Connais pas…

Germain souleva légèrement l’épaule. Il reprit :

— La Nature ?… Ce serait encore plus facile d’avoir affaire à un Dieu ! Un Dieu serait capable de raison… (Du moins on se plaît à l’espérer !…) Mais la Nature, qui est-elle ? Qui l’a vue ? Où sa tête ? Où son cœur ? Où ses yeux ?