Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 4.djvu/113

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pour ce qui grondait en elle, se leva tranquillement ; tout en causant, elle examinait les photographies du piano ; tout en causant, machinalement, elle souleva le couvercle de l’instrument, afin d’en lire la marque ; machinalement, pour l’essayer, ses doigts coururent sur les touches. Sa main griffa le clavier… Ce ne fut pas seulement le clavier qui reçut la griffe. Chacun des trois en eut le choc, en pleine poitrine. L’intruse leur soufflait à la face :

— Je suis là…

Un coup de vent impérieux… Trois puissants accords. Trois cris de passion irritée… Puis, le silence, une plainte déroulant, des cimes dans le ciel vide, comme une traîne de nuées, ses lents arpèges descendants… Comme un filet de sortilège, qui s’enfonce, en prenant dans ses mailles les âmes…

Elle-même, enchaînée par sa prise, Annette, penchée sur le gouffre sonore, voyait sortir de ses accords irréfléchis le lamento qui prélude à l’ouverture de Manfred.

Franz était accouru. Musicien de race et de nature, il ne résistait pas à l’appel magique. Bouleversé, il regardait Circé, qui évoque les esprits…