Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 4.djvu/147

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amour pour les siens, pour les hommes, pour le monde, et pour les idées saintes. Il allait tuer la guerre. Il allait délivrer d’elle l’humanité. Ses ennemis mêmes. Il rêvait de leur porter la liberté. Il avait tout donné. — Il avait tout perdu. Le monde l’avait joué. Il avait reconnu trop tard l’énorme iniquité, les ignobles calculs des joueurs de la politique, où il n’avait été qu’une pièce sur l’échiquier. Il ne croyait plus à rien. Il avait été dupé. Et il gisait, sans le désir même de la révolte. …Vite sombrer, sombrer dans la fondrière, où l’on ne sera plus, où l’on ne se souviendra plus d’avoir été, — au fond de la fosse, que recouvre l’oubli éternel !

Il parlait sans éclat, d’une voix lasse et voilée, qui pénétrait Annette de douleur fraternelle… Ah ! qu’ils étaient semblables, en leurs destins contraires ! Cet homme qui n’avait vu dans la guerre que l’amour, comme elle que la haine, — et tous deux sacrifiés, à qui ? à quoi ? Tragique insanité de tous ces sacrifices !… Et malgré tout, et malgré tout !… dans l’excès de l’amertume — (devant un tel désastre, elle osait à peine se l’avouer) — une tragique volupté !… Non, ce n’est pas pour rien que nous sommes lacérés, pié-