Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/100

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sueur, l’esprit perdu, fiévreux. Il se sentait impuissant à lutter contre les appels de ses sens réveillés. Et le déroulement de sa pensée, la ruée du jour, l’émeute, la fuite et la poursuite, tout le ruban du film déclenché…

Puis, ce fut le lendemain, l’écœurement de l’action ratée… Cette stupide manifestation politique, sans plan, sans direction, sans suite, n’avait été qu’une ruée brutale de la bête dans les brancards, incapable de les briser ; ce n’avait servi à rien qu’à s’y meurtrir : la bête avait les reins cassés ; il n’y avait plus qu’à appeler l’équarrisseur !…

Bouchard avait disparu. Marc fut le seul à s’inquiéter de lui. Les autres ne s’en souciaient guère. Ils étaient tous maussades et furieux : ils ne songeaient qu’à se rejeter, comme une balle, la responsabilité. Après trois ou quatre jours, Bouchard reparut, la face tuméfiée, un œil sérieusement atteint. Il avait été passé à tabac, férocement, jeté au Dépôt pour quelques jours, provisoirement relâché, après interrogatoire ; l’affaire était transmise aux tribunaux correctionnels. Il était passible de quelques années de prison, pour port d’armes défendu, coups et sévices aux agents, insultes à l’autorité, menées anarchistes, et provocation au crime. D’ores et déjà, les portes du professorat lui étaient fermées, il était mis à l’index de l’Université ; les camarades prudents s’écartaient. Il s’enrageait pourtant à reprendre sa préparation obstinée à l’examen — à l’échec.

Véron, lui, s’en moquait ! Il n’avait même pas été rossé. On lui demanda comment. Il se vanta en ricanant d’avoir graissé le sabot aux bourriques : au commissariat, le nom de sa banque l’avait mieux garanti que s’il eût exhibé les insignes de député. — Quant à Bouchard, cet imbécile s’était laissé prendre. Il ne faut point être pris. Tant pis pour lui ! On doit savoir ce qu’on risque…