Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

corps de petite fille profanée, ce viol… Et le plus sali des deux, c’était lui… Ainsi, après tous ses grands mots, après ce haut orgueil des entretiens du jour avec sa mère, après ces professions de foi de chevalerie souffletant les renards et les loups de la grande guerre qui dépeçaient le monde par la force et la ruse, en se masquant du droit, il s’était dépêché de voler son morceau du droit de la force, et il avait choisi pour sa part la plus lâche… Il revit la jeune fille à genoux sur le pavé ; et d’un coup, il rejeta ses draps ; la pensée qu’il s’était sauvé comme un voleur le brûlait ; il fut sur le point de courir à l’endroit où il l’avait laissée… Pour quoi faire ? Pour la relever ?… Idiot !… Il restait nu, assis sur le bord du matelas. Derrière la cloison, sa mère se retourna dans son lit… Il ravala son souffle et il se recoucha… Il avait sous les dents la bouche sans salive de la jeune fille… Il remâcha cette lèvre… Il eut une poussée nouvelle de cruauté… « N’importe ! Tu as ma marque ! Et si tu me rencontres, je te reconnaîtrai et tu ne le pourras pas… » — « Elle vit et me juge… » Cette pensée, cette vie lui fut insupportable… « Si elle pouvait être morte !… » Et il comprit, avec cette mobilité d’esprit qui sautait de lui au monde, sans cesser de tourner autour du même objet, pourquoi l’homme qui a touché du doigt le crime y enfonce sa main, afin de ne plus la voir… Puis, un torrent de pitié… « Qu’elle vive, qu’elle soit heureuse !… » Il eût voulu baiser les meurtrissures de ses genoux ronds… Arrivé à ce point, il ne fut pas loin de se retrouver à la brutale poussée qui la lui avait fait empoigner, et de recommencer le cercle brûlant de sa course… Il courut ainsi, tout le reste de la nuit, de l’une à l’autre étape : pitié et cruauté, haine de soi ou d’elle, les remords, les regrets, et de ce qu’il avait fait, et de ce qu’il n’avait pas fait… Cours et cours, sans arrêt ! Au terme, est la défaite. Elle était le seul point fixe dans le chaos. Battu !… Il était sans