Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/283

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Simon le considéra avec un sourire de pitié.

— « Veau de lait ! il te faut toujours le pis de ta vache… Allons ! les cornes pointent pourtant, sous ton front. »

— « Dans l’arène, le taureau est toujours condamné d’avance. »

— « Eh bien, tâche au moins que le spectacle soit beau ! Et étripe le matador !… Moi, je suis resté, idiot, encornaillé aux entrailles des chevaux… Tu feras mieux. »

— « Et c’est pour me dire cela que tu m’as fait venir ? »

— « Et pourquoi pas ? » fit le cyclope, se redressant de toute sa hauteur. « Mon testament à la société ! »

— « Tu lui lègues un monstre ? »

L’œil unique eut un éclair de gaieté, s’humanisa. Simon pétrit dans ses poings rudes les maigres bras du jeune ami :

— « Pauvre petit monstre ! Il a peur de son ombre… Mais tu as beau faire, je te connais, tu combattras… Veux ou ne veux pas !… Qui naît taureau, taureau il meurt. On ne le coupe pas… Mais ça te regarde ! Je n’ai pas besoin de m’en occuper… Si je t’ai fait venir, c’est, mon garçon (je ne vais pas mentir, à cette heure), qu’on a beau s’être tanné, avoir le cœur plus dur que les poings, haïr les hommes, et regretter de n’avoir pu faire sauter la boutique, — au moment de s’en évader, on se sent, à des minutes, une faiblesse dans les jambes, et sur la langue — la langue sèche du taureau, — une démangeaison de lécher, une fois, une fois encore, le poil d’un autre taurillon… »

Il le regarda, qui eût voulu se dérober. Il sentait le frisson des bras sous ses doigts. Il lui souffla, avec une gauche tendresse :

— « Ça te coûterait trop de m’embrasser ? »

Marc l’embrassa, plus mort que vif.