Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/286

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Marc lui a tout raconté du drame, que sa vie a côtoyé de si près qu’il lui semble que le couperet, en tombant, a sifflé près de son oreille. Il lui a dit que, si le coup ne l’a pas tranché, c’est une affaire de hasard : Simon aurait pu être Marc, et Marc Simon ; le désespoir et la démence, le crime, rôdent en chacun de nous : l’un résiste, l’autre succombe, sait-on pourquoi ? « Ç’a été lui, ç’aurait pu être moi. Je n’ai le droit de condamner personne… »

Il n’est pas surpris d’entendre Annette qui lui répond :

— « Non, ni toi ni moi n’avons le droit de condamner ce malheureux. »
et qui lui parle de Simon avec une pitié qui a compris. Mais elle ajoute — (et son cœur sursaute) :

— « Mais il n’est point vrai, mon Marc, qu’il aurait pu être toi, que tu aurais pu être lui. Tu es celui que tu es : toi… Mon fruit… Il peut être arraché de l’arbre. Il ne peut être véreux… Le crime et la honte rôdent, oui, je le sais, en toi, en moi. Mais ils n’entreront point dans notre lit. Tu aurais beau être tenté… (Tu l’as été… Tu ne me l’as point dit, mais je m’en doute… Et qui te dit que je ne l’aie pas été ?…) Mais, grâce à Dieu, ils ne veulent pas de nous ! »

Marc se sent chaud par tout le corps. Et il frémit… « Tu l’as été… » — Et elle aussi, cette femme, elle « l’a été !… » Et elle le lui dit !… Elle vient, d’un geste, de balayer sa peur secrète. Si elle a frôlé les mêmes abîmes et est si sûre de ses pas, il ferait beau voir que lui, un homme, ne le fût point ! Pour l’éprouver, il va pourtant dans ses confidences plus loin qu’il n’a jamais été. Il lui écrit certaines heures de cette démence qui couve au ventre des jeunes hommes, et où il s’est réveillé en sursaut, haletant, les doigts crispés, au bord de l’infâme. Après, il pense : — « Qu’ai-je dit !… » Mais elle répond :

— « Tu as été au bord. Tu as vu au fond. C’est